LA MUSE INSOLENTE DE GEORGES BRASSENS
Georges Brassens en allemand -- traduit et chanté par Ralf Tauchmann |
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La tzigane savait d'avance |
La tzigane savait d'avance Nos DEVIS barrés par les nuits Nous lui dîmes À / AH DIEU et PUIS De ce PUIS sortit l'Espérance |
Damit kommt ein orakelhafter Unterton in die Weissagung der lebenserfahrenen Zigeunerin, denn es schwebt eine zweite Stimme im Hintergrund: |
La tzigane savait d'avance |
Die Zigeunerin wusste im Voraus,
Dass unsere Kostenvoranschläge von den Nächten gestrichen würden Wir sagten ihr »Auf Gott !« und dann Entstieg diesem Dann die Hoffnung… |
(Oublions ici l'allusion au sort dans le verbe sortir comme étant peut-être
trop enracinée dans la langue française.)
Ce qui importe, c'est que les deux voix ne sont pas l'une à côté de l'autre, mais elles s'entrelacent et se chevauchent. La version écrite est bien sûr celle qui domine et dont la graphie a été choisie par Apollinaire, ce qui confère à cette version la qualité de CONTENU proprement dit. Mais il existe, cachée par la graphie de nature statique et répartie dans l'espace, cette seconde voix qui ne fait pas partie du contenu, mais se situe au FOND, c'est-à-dire dans la réalité dynamique des consonnes et voyelles réparties dans le temps. Et cette réalité est, comme toute réalité non encore filtrée par l'esprit logique, équivoque et ambiguë. C'est là que nous nous retrouvons au « premier fond » de l'interprétation -- l'interprétation linguistique (Deutung) directement attachée à la langue et non encore l'interprétation proprement dite (Interpretation) qui retourne sur la réalité objective de notre expérience du monde. INTERPRÉTATION LINGUISTIQUE : Nos deux vies sont nos devis. Mettre ensemble deux vies équivaut à présenter un devis. Le désir intérieur et idéel de vivre ensemble (deux vies) fait en même temps face au « détail estimatif » de l'existence matérielle (devis) qui s'y oppose. Le puits dans lequel est puisée l'espérance est le puis, le futur, l'avenir... INTERPRETATION ABSTRAITE : La strophe citée est une vue en arrière, un regard désabusé dans le passé où l'avenir -- notre aujourd'hui -- était encore avenir et espérance légèrement obscurcie par le doute inspiré par la prédiction d'une tzigane -- prédiction qui s'est finalement matérialisée. Une bonne traduction devrait user des moyens et voies linguistiques propres à entremêler les espérances menacées de la perspective avec les illusions perdues de la rétrospective -- illusions perdues par fixation à la matière...
Apollinaire raconte un premier contact plus profond avec la langue française.
Ayant tout dit, l'orateur se tut.Apollinaire avait compris le présent: Ayant tout dit, l'orateur se tue.Il était convaincu du sens profond de la phrase : Quand tout a été dit, l'orateur a perdu son droit d'exister ! La langue française est plus syllabique et plus homophone que,
p. ex., la langue allemande. En allemand, beaucoup de syllabes sont des mots
et même morphèmes (porteurs de sens et distinctifs), tels wort,
wert, schatz etc., tandis qu'en français, la distinction
se fait plutôt par l'ambiance et l'environnement :
vert – vair – verre – vers (adj.) – vers (subst.) – verce qui devient encore plus complexe en combinaisons : revers, s'avère, sévère .... Apollinaire en use dans les deux vers suivants du poème exceptionnellement
beau MARIE où il met au fond du vers une seconde voix quasiment mélodique
composée autour du mot syllabique SI ( une seconde voix porteuse de
sens comme adverbe tellement et conjonction mais si ) :
Les masques sont silencieuxTrès beaux -- ces rapprochements syllabiques : masques – musiques ; silen... – si loin... Et très belle également -- cette nuance consolante et réconfortante de ce si doux et sonore dans la musique si lointaine... Un autre exemple : Le poème ZONE de Guillaume Apollinaire, premier poème du recueil ALCOOLS, qui se termine par ce vers très connu : Adieu adieu Encore une fois, la forme et le fond ne forment qu'un. L'adieu (de fin-de-siècle)
fait apparaître, à travers le sang rouge que déverse la
tête tombante du soleil décapité qui nous regarde de
par-derrière l'horizon, la lueur d'un coucou,
d'un commencement tout neuf... Phonétiquement, vu le caractère
dynamique du langage parlé, c'est seulement la dernière syllabe
pé qui assure une certaine «
clarté » en effaçant le vague de ce que l'on vient d'entendre
jusqu'à ce point :
A Dieu, à Dieu,Je me rappelle avoir lu, dans un journal il y a un certain temps, une traduction rendant ce dernier vers de façon imitative et structurale: Sonne abgeschnittener HalsNous voilà devant un deuxième trait essentiel de la langue française qui a tendance à mettre en valeur la fin de la phrase par l'intonation tout en l'adoucissant par les nuances ( à l'encontre de l'allemand qui fait un gros point final ) ; comme certains phénomènes le montrent :
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Adieu adieu |
Leb wohl, leb wohl, Halsdurchtrennte Sonne! |
Ou choisir un nom composé qui semble correspondre encore mieux au rapport « caché » créé par l'apposition : |
Adieu adieu |
Leb wohl, leb wohl, Kopf-ab-Sonne! |
La mesure pour une traduction-adaptation réussie de ces deux vers serait : l' ADIEU rouge sang pénétré par une lueur à peine percevable de BONJOUR coucou (encore une fois l'union solidaire de deux contraires emmêlés). S'il était possible, en allemand, d'avoir DIEU dans l'ADIEU ( qui se traduit par Lebewohl ! -- littéralement vit bien ! ), une telle traduction serait probablement parfaite. Ce qui importe, c'est de permettre à la langue cible (ici: l'allemand) son flux naturel. L'exemple suivant montre plus clairement la distinction des deux langues quant à la séquence des mots. Dans le poème MARIE de Guillaume Apollinaire, il est indispensable, en allemand, de rendre l'apposition feuilles de l'automne par une épithète se plaçant avant le nom, si l'on veut que la langue allemande se sente à l'aise dans la structure de ce vers : |
Sais-je où s'en iront tes cheveux |
Was weiß ich, wohin deine Haare (ver)gehen
Und deine herbstblattgleichen / herbstdurchlaubten Hände... |
2. GEORGES BRASSENS -- Une solution du problème Procédons à Georges Brassens. En contraste avec Apollinaire, qui savait bien que ses poèmes se présenteraient sous forme écrite à un lecteur ( avec comme point final les calligrammes ), les paroles des chansons de Georges Brassens s'adressent de prime abord à un auditeur ( à tel point qu'elles n'ont même pas besoin d'être fixées par écrit ). Grâce à l'invention du phonographe, des tourne-disques jusqu'au CD d'aujourd'hui, les chansons et œuvres orales peuvent à présent être écoutées à plusieurs reprises comme il est possible de lire et de relire des livres. Pour mon exposé, j'ai choisi la chanson COMME UNE SŒUR – entre autre puisqu'elle ne pèse pas trop lourd et qu'elle ne contournera pas trop notre esprit vers le fond et le contenu. Cette chanson est une reminescence à un genre populaire : à la CHANSON DU MAL AIMÉ. « C'est toujours la même chanson ! » pourrait-on être tenté de penser. Et oui, c'est un peu vrai. Mais... regardons les quatre premières strophes : |
COMME UNE SŒUR |
WIE EINE SCHWESTER (Inhaltsangabe) |
Comme une sœur, tête coupée, |
Wie eine Schwester, Kopf abgetrennt,
Sah sie ihrer Puppe ähnlich. Sie ist in den Fluss gekommen, Ihren zarten Fuß ein wenig zu benetzen. |
Par une ruse à ma façon, |
Durch eine List nach meiner Art
Tu ich so, als ob ich ein Fisch wäre. Ich verkleide mich als Pottwal Und lege mich ich auf den Grund des Wassers. |
J’ai le bonheur, grâce à ce biais, |
Ich hab dank dieses Umwegs/Tricks das Glück
Ihr ein Stück Fuß an/wegzuknabbern. Niemals hat ein Hai(fisch), ich bürge dafür, Niemals etwas so Gutes/Schmackhaftes gekostet. |
Ell’ m’a puni de ce culot |
Sie hat mich für diese Dreistigkeit
bestraft, Indem sie mir den Schnabel ins Wasser hielt (indem sie mich am ausgestreckten Arm verhungern ließ) Und ich habe, um ihr Mitleid zu gewinnen, Vortäuschen müssen, dass ich ertrinke. |
Malgré le but de considérer en premier lieu la forme, il convient de commencer par une question qui touche plutôt le fond : |
Comme une sœur, |
Ce qui frappe dans le premier vers, c'est l' « apparition »
de la tête coupée. Rappelons-nous
le caractère phonique et dynamique de la langue. Ce premier vers Comme une sœur tête coupée... nous parvient, pour ainsi dire, du «néant» en évoquant cette association quasiment brutale qui ne trouvera pas d'explication, ni dans le deuxième vers qui termine tout de même la phrase commencée, ni ultérieurement dans les strophes qui suivent. En tout cas, quant aux deux premiers vers, nous voilà devant un enchaînement notionnel de : sœur – tête (coupée) – poupée; en terme de contenu, Brassens joue ici sur la locution ressembler comme un frère à qqn. Cela nous ramène à l'interprétation dans l'ensemble tout de même assez claire et qui a beaucoup à voir avec ce compliment courtois : « C'est votre fille ? Mais non, c'est impossible. C'est votre sœur... » où l'image de la mère comme sœur de sa fille se change par analogie en fille comme sœur de sa poupée. La tête coupée pourrait ainsi laisser à penser que la poupée « a fait son temps » (en allemand, on pourrait avoir recours à cette locution légèrement ambiguë ähnlich bis auf den Kopf ). Du point de vue linguistique, la tête coupée pourrait être empruntée à la locution donner sa tête à couper (si elle n'est pas la sœur de sa poupée...), mais sous un aspect de fait accompli : et la tête avait été coupée... |
Quoi qu'il en soit, comme traducteur il convient pour l'instant de renoncer à toute formulation allemande pour éviter toute interprétation figée et trop étroite. Gardons la tête coupée derrière la tête et quittons le contenu pour revenir à la forme en renonçant ici à tout ce qui touche les mètres et les rimes comme éléments formels « usuels » afin de nous pencher sur les sources formelles essentielles de la chanson considérée : |
Comme une sœur, tête coupée, |
STRUCTURE LINGUISTIQUE: La première strophe se termine par un pied menu. Ici, il faut bien sûr considérer menu en premier lieu comme adjectif et épithète, mais le milieu notionnel du contexte environnant -- PIED MENU -- RUSE -- BIAIS -- CROQUER UN BOUT DE PIED -- fait apparaître un soupçon d'apposition : pied-menu avec l'idée vague d'un repas à prendre -- un pied « à la carte » un pied « à croquer » -- pour refusionner la forme et le fond. C'est ainsi que ruse au début de la deuxième strophe prend un sens artificieux emprunté à la structure même du système linguistique : ruse ne signifie pas seulement ruse, mais EST une ruse ! Tremper dans la rivière fait allusion à la locution tremper dans une affaire. C'est seulement les dernières quatre syllabes qui rendent transitif tremper en effaçant l'ambiguïté. ALLUSIONS PHONÉTIQUES:
3e strophe: grâce (prép.) --> grâce (subst.) |
Il convient de rappeler à ce stade que je parle ici uniquement des allusions « cachées » du texte, donc de ce qui dépasse la composante dite contenu : l'interprétation de premier niveau, l'interprétation directement liée à la langue elle-même (Deutung). Ce qui est important, c'est la priorité du langage parlé -- qui a un caractère dynamique et consécutif se développant dans le temps par rapport au système d'écriture plutôt statique qui se place dans l'espace. Si, en poésie, une phrase ne perd son ambiguïté qu'avec le dernier mot, toutes les acceptions, associations et allusions évoquées ou provoquées au fil de la phrase restent une partie indétachable du contenu exprimé de cette façon, car chaque fois que cette phrase est prononcée et reprononcée, toutes ces associations et allusions renaissent. Il convient de prendre en compte ces détours et biais de l'esprit volant qui se posera enfin sur un point bien déterminé, comme s'il y avait été depuis toujours, mais qui aura gardé en soi le trajet parcouru et suivra la même route chaque fois que l'on répète la phrase... Je tiens à ajouter un autre procédé de fond-forme cher à Brassens: |
Ell’ m’a puni de ce culot |
SENS DE MOTIVATION = FORME DE LA LOCUTION Tenir le bec dans l’eau comme locution figurée pose un problème tout particulier: Pour les locutions idiomatiques (phraséologiques), la signification dite actuelle de la locution (l'acception) n'est pas identique à la somme des acceptions matérialisées par chacun des mots individuels (sens de motivation). Ici, la location est employée selon son contenu (attente incertaine), mais l'histoire continue avec l'acception initiale (bec dans l'eau), qui relève de la FORME! |
Avant d'exposer le procédé de traduction, voici une synthèse
des objectifs: 1. Le premier but est de rendre l'histoire racontée, donc TRADUCTION au niveau du CONTENU. 2. Mais en gardant (reproduisant) la forme poétique, donc ADAPTATION au niveau de la POÉSIE (rimes etc.) 3. Et en respectant les autres particularités formelles d'origine linguistique, ADAPTATION au niveau du FOND; donc TRANSPOSITION de l'AUTEUR -- à savoir ( pour Brassens ) : (a) allusions phonétiques (difficile en langue allemande, car elle est moins homophone que le français) (b) allusions structurales (c) locutions idiomatiques Ma première version allemande présentait certains désavantages : |
COMME UNE SŒUR |
MIT IHREM KURZEN KNAPPEN HAAR |
Comme une sœur, tête coupée, |
Mit ihrem kurzen knappen Haar (Knappenhaar)
Sie ihrer Puppe ähnlich war. Sie wagte mit dem schmalen Fuß Vom Ufer den Schritt in den Fluss. |
Par une ruse à ma façon, |
So listenreich, wie ich halt bin,
(Solist ???) Schleich ich als Fisch zum Wasser hin, Hab mich als Pottwal ausgestreckt Und auf des Flusses Grund versteckt. |
J’ai le bonheur, grâce à ce biais, |
Durch diesen Trick hab ich das Glück
Und nasch vom Fuß ein feines Stück. So einen guten Bissen hat Fürwahr kein Haifisch je gehabt. |
Ell’ m’a puni de ce culot |
Zur Strafe für den frechen Spaß,
Tunkt sie den Schnabel mir ins Nass. Und ich seh zu, dass ich ertrink, Damit ich ihr Mitleid erring. |
Cette première adaptation paraît assez proche de l'original,
la structure et les rimes sont reproduites... et il faut tout de même
éprouver le sentiment profond qu'il y a quelque chose qui manque --
à savoir: toutes ces associations et allusions qui naissent et meurent
au cours de l'enchaînement des mots. L'apposition pied-menu ( dont la présence est vague
) reste sans équivalent, ce qui fait que la ruse de la deuxième strophe devient une
banalité, car il n'y a pas de ruse linguistique. La locution tenir le bec dans l’eau est rendue par un équivalent
superficiel et par-là unidimensionnel. En bref: La chanson est traduite,
mais on ne retrouve pas ce qui fait Brassens -- cet esprit « derrière
les mots », ces rapports et liens « cachés » entre
les mots... Un soupçon d'allusion désirable est présent
dans le premier vers »kurzen Knappenhaar«
( cheveux courts en coiffure valet / coutellier ) par allusion à
« kurz und knapp »(tout court, tout en bref...), mais
sans rapport au contenu des paroles originales, puisque cette version allemande,
contrairement à l'original, introduit la notion, voire l'image d'un
garçon. Et, ce qui est pire : Le premier vers de la deuxième
strophe allemande -- so listenreich (si
riche en ruses) -- fait sous-entendre, bon gré mal gré,
le mot Solisten (solistes). Cette allusion
est sans raison et pervertit même la démarche poétique-stilistique
de Georges Brassens. J'étais à deux doigts de réussir
à faire, sans l'avoir voulu, un persiflage de Brassens... Puisque le résultat de cette démarche directe n'était
pas satisfaisant, j'ai recherché d'autres voies ou, pour dire toute
la vérité, car ce n'était pas une recherche proprement
dite, j'ai finalement accepté des biais et des détours en me
fiant au hasard de la langue allemande... Il faut absolument que j'introduise à ce point, en complément à la forme de POÈME considérée jusqu'ici, la forme de CHANSON : Brassens a composé un doublage ingénieux des premier, deuxième et quatrième demi-vers terminaux de chaque strophe. Cette particularité structurelle, cet écho systématique m'a permis de trouver ou mieux d'accepter des allusions phonétiques présentées par le hasard de la langue allemande ( dans la mesure où ces allusions s'inscrivent dans la chanson et son interprétabilité -- il a donc fallu interpréter finalement la version allemande pour vérifier le résultat ) : |
COMME UNE SŒUR |
SO ALS OB |
Comme une sœur, tête coupée |
So als ob sie – Kopf hin, Kopf her –
Kopf hin, Kopf her Die Schwester ihrer Puppe wär’, ’rer Puppe wär Tunkte sie ihren zarten Fuß Ein ganz klein wenig in den Fluss. ’nig in den Fluss |
Par une ruse à ma façon, |
Durch eine List nach meinem Sinn
Nach meinem Sinn Schleich ich als Fisch zum Wasser hin, Zum Wasser hin Streck mich am Grund aus wie ein Wels Und laure reglos wie ein Fels. Los wie ein Fels |
J’ai le bonheur, grâce à ce biais, |
Durch diesen Trick hab ich das Glück
Hab ich das Glück Und nasch vom Fuß ein feines Stück. Ein feines Stück So einen guten Bissen hat, Mein Wort, kein Haifisch je gehappt! Fisch je gehappt |
Ell’ m’a puni de ce culot |
Zur Strafe für den alten Zopf
Den alten Zopf Wäscht sie mir gehörig den Kopf. Hörig den Kopf Und ich muss tun, dass ich ertrink’, Damit ihr Mitleid ich erring'. Leid ich erring’ |
Quelques commentaires : 1ère strophe:
Une fois réalisé à cette manière, ce jeu d'
« écho » doit être adopté comme principe poétique
pour être véritablement présent: et il est possible,
par ce biais structural, de peupler d'allusions et d'associations le champ
interprétatoire -- la traduction-adaptation prend la dimension d'un
poème.
2ème strophe:
4ème strophe:
Sans nous pencher trop sur tous les détails, revenons à
une chose particulière qui a continué de me gêner : l'absence
complète en allemand de la tête coupée du premier vers, qui saute tellement aux yeux et
aux oreilles en français. Si je dis absence, ce n'est pas forcément
absence en terme de contenu et de signification, mais plutôt absence
en tant que repère ou jalon... Jusqu'à ce que
le hasard m'ait apporté une solution:
L'histoire d'amour des premières strophes est, comme souvent
chez Brassens, bouleversée vers le social. Cette amour entre êtres
égaux jouissant d'une égalité naturelle éprouvée
par l'intérieur voit soudainement au propre visage des reflets de défauts
socio-matériels renvoyés par le miroir social :
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Chez ses parents, le lendemain, |
Bei ihren Eltern am darauffolgenden Tage/anderntags
Bat ich hineilend/eiligst um ihre Hand, Aber da ich nichts in der Meinen hatte, Schrie man mich an: »Scher dich weg!« |
Dans ma première version, je voulais retenir la structure stylistique dans la mienne : |
Chez ses parents, le lendemain, |
Als ich vor ihren Eltern stand,
Ihr’n Eltern stand Bat ich tags drauf um ihre Hand, Um ihre Hand Doch man schrie, denn meine war leer, Dass ich mich weg zum Teufel scher’. Zum Teufel scher. |
Un autre élément aussi digne d'être reproduit en allemand ( tout n'est pas possible ! ) est bien sûr également ce cri bisyllabique : « va-t’en ! » – »Scher dich weg! Hau ab!« à la fin de la strophe -- un cri court et frappant, comme s'il était fait pour l'intonation assez rude et dure de la langue allemande. C'est ainsi que la solution avait la bonté de s'offrir elle-même : |
Chez ses parents, le lendemain, |
Als ich vor ihren Eltern stand,
Ihr’n Eltern stand Bat ich tags drauf um ihre Hand, Um ihre Hand Doch man warf mir, denn ich war knapp Bei Kasse, an den Kopf: »Hau ab!« Den Kopf: „Hau ab!“ |
Grâce à l'écho à la fin du dernier vers de cette première strophe « sociale » -- Den Kopf hau ab -- la tête coupée devient élément associatif également de la traduction allemande sans pour autant monter à la surface des acceptions concrètes, ce qui semble même assez souhaitable du fait de ce déplacement dans une autre strophe. Il faut ajouter que cette allusion à cet endroit s'inscrit parfaitement dans la suite d'évènements de cette chanson -- ce qui est important, puisqu'il s'agit de garder l'interprétabilité. On peut probablement dire que cette allusion-adaptation éclaire également un peu la fonction de la tête coupée dans la chanson française : Elle relève plutôt du double fond de l'interprétation et n'est guère compréhensible au niveau du contenu. Une dernière remarque relative à la traduction du titre de la chanson. Si les titres sont plutôt une fioriture, ils ont tout de même une certaine fonction symbolique qu'il convient de ne pas sous-estimer. La chanson Comme une sœur s'appelle
maintenant So als ob ( à peu près : comme si dans le sens
de faire semblant ) et le choix du titre peut paraître étrange.
D'abord, le titre français reprend tout simplement les quatre premières
syllabes ( en préparant plus ou moins l'écho tétrasyllabique
) et j'ai fait (presque) la même chose en allemand, mais en me réduisant
aux trois premières syllabes pour des contraintes structurales dans
le premier vers de ma traduction. Sans l'avoir expressément
envisagé ou voulu, le titre allemand est parfaitement symbolique TANT
pour la version allemande QUE par rapport à l'original français.
Il présente une certaine correspondance avec les locutions françaises je fais semblant (d’être un poisson) de
la deuxième strophe et faire mine (de me
noyer) de la quatrième strophe et résume raisonnablement
l'impact en allemand de l'écho structural sur le contenu.
3. CONCLUSION La démarche présentée n'est certainement pas une
solution générale pour l'adaptation de poésies. Elle
ne s'est même pas prêtée une deuxième fois à
l'adaptation d'autres chansons de Georges Brassens (sauf pour certains détails
dans Les 4 bacheliers et Au bois de mon cœur). Il reste donc beaucoup
de liberté pour toute une panoplie de démarches créatives
tout à fait différentes -- et c'est rassurant. Mais le but
de l'exposé était de montrer que la traduction proprement dite
en tant que REPRODUCTION DU CONTENU et l'adaptation dite LICENCE POÉTIQUE
ne doivent pas obligatoirement s'exclure. Le cas idéal serait d'avoir
une traduction qui, quant au contenu, substitue un original en langue étrangère,
mais constitue une adaptation qui répond d'elle-même. L'idéal
serait d'avoir une traduction dont les écarts de contenu sont réduits
à des raisons formelles; voici un cas limite dans la chanson présentée
: Le cachalot (Pottwal) est remplacé
par la silure, poisson-chat (Wels), ce qui semble d'abord peu motivé, mais dès
que l'on considère que l'allusion phonétique de cachalot -- cache-à-l’eau est intraduisible
et perd donc un peu son droit de cité poétique, on peut retracer
la compensation de cette perte par l'allusion structurale allemande (reg-)los wie ein Fels (immobile / en avant comme un bloc de pierre) en liaison avec les contraintes de la rime. Pour
simplifier, en d'autres mots : s'il y a QUELQUE CHOSE de complémentaire
derrière le contenu proprement dit de l'original, il faudrait QUELQUE
CHOSE de complémentaire également dans la traduction. Les moyens
concrets doivent être confiés au hasard linguistique de la langue
cible, mais il faudra en fin de compte ajuster le résultat selon l'interprétabilité
non linguistique et abstraite de l'original.
Réponse complémentaire à la question posée au jour de l'exposé: Ne risque-t-on pas de surinterpréter ? J'aimerais revenir à la distinction
entre DEUTUNG (interprétation linguistique) et INTERPRETATION (interprétation
abstraite par rapport à la réalité). Le traducteur doit
en tout cas interpréter les moyens linguistiques -- c'est le côté
artisanal de l'ouvrier traducteur et c'était l'objet de mon exposé.
Mais le traducteur ne peut renoncer à l'interprétation abstraite
(ce que j'ai dû faire à deux reprises au cours de mon exposé).
Le risque n'est pas en premier lieu la surinterprétation, mais plutôt
de réduire DE FAIT la portée originale en lissant l'ambiguïté
en faveur de la clarté. Un poème use des acceptions potentielles
des mots et locutions ( allusions, associations, ambiguïtés ),
contrairement aux textes techniques et autres textes visant la compréhension
rationale par la mise en oeuvre des acceptions dites actuelles. Le risque
consiste plutôt à rester "en dessous de" la portée originale,
à sous-interpréter...
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