LA  MUSE INSOLENTE  DE  GEORGES BRASSENS
Georges Brassens en allemand -- traduit et chanté par Ralf Tauchmann



LE GRAND PAN
(Paroles/musique: Georges Brassens)


Du temps que régnait le grand Pan,

Les dieux protégeaient les ivrognes,
Un tas de génies titubant,
Au nez rouge, à la rouge trogne;
Dès qu'un homme vidait les cruchons,
Qu'un sac à vin faisait carousse,
Ils venaient en bande à ses trousses
Compter les bouchons.

La plus humble piquette était alors bénie,
Distillée par Noé, Silène et compagnie...
Le vin donnait un lustre au pire des minus,
Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.

Mais se touchant le crâne en criant: « j'ai trouvé ! »,
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament.

Aujourd'hui, çà et là, les gens boivent encor,
Et le feu du nectar fait toujours luir' les trognes,
Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes...
Bacchus est alcoolique -- et le grand Pan est mort.
 


Quand deux imbéciles heureux

S'amusaient à des bagatelles,
Un tas de génies amoureux
Venait leur tenir la chandelle;
Du fin fond des Champs-Élysées,
Dès qu'ils entendaient un «je-t'aime»,
Ils accouraient à l'instant même
Compter les baisers.
La plus humble amourette était alors bénie,
Sacrée par Aphrodite, Éros et compagnie...
L'amour donnait un lustre au pire des minus,
Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.

Mais se touchant le crâne en criant: « j'ai trouvé ! »,
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament.

Aujourd'hui, çà et là, les cœurs battent encor,
Et la règle du jeu de l'amour est la même,
Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment...
Vénus s'est faite femme -- et le grand Pan est mort.
 


Et quand fatale sonnait l'heur'

De prendre un linceul pour costume,
Un tas de génies, l'œil en pleurs,
Vous offrait des honneurs posthumes;
Pour aller au céleste empire,
Dans leur barque ils venaient vous prendre;
C'était presque un plaisir de rendre
Le dernier soupir.
La plus humble dépouille était alors bénie,
Embarquée par Charon, Pluton et compagnie...
Au pire des minus, l'âme était accordée,
Et le moindre mortel avait l'éternité.

Mais se touchant le crâne en criant: « j'ai trouvé ! »,
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
Chasser les dieux du firmament.

Aujourd'hui, çà et là, les gens passent encor,
Mais la tombe est, hélas!, la dernière demeure,
Et les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent...
La mort est naturelle -- et le grand Pan est mort.
 


Et l'un des derniers dieux,  l'un des derniers suprêmes,

Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même;
Un beau jour, on va voir le Christ
Descendre du Calvaire en disant dans sa lippe:
« Merde ! Je ne joue plus pour tous ces pauvres types !
J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste »
 

(© 1965 Éditions Musicales 57)

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