LA MUSE INSOLENTE DE GEORGES BRASSENS
Georges Brassens en allemand -- traduit et chanté par Ralf Tauchmann |
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LE FANTÔME — DAS
GESPENST
Extraits en français -- allemand -- en entier : http://www.myspace.com/brassensindeutsch L'une
des chansons les plus intéressantes de Brassens qui
réunit plusieurs sujets récurrents : homme et femme, les
liens des générations en dehors de l'âge, la
culture chrétienne européenne (en l'occurrence
française) enracinée dans le sol greco-romain de
l'Antiquité... Cette chanson illustre les raffinements
linguistiques de Brassens. Quand il s'amuse avec les mots, ces jeux
de mots ne sont pas gratuits, mais des jeux d'esprit, des
manières de penser, qui transportent une profonde joie de la
pensée
logique nourrie de sens. Selon Brassens:
« On m’a
reproché mon souci de la forme, mais c’est la forme qui donne le fond. Quand
j‘ai fait LA MAUVAISE RÉPUTATION, je notais au fur et à mesure des tournures
qui, chaque fois, se trouvaient correspondre à des idées. Maintenant, je
cherche encore plus qu’autrefois. J’emploie toujours le mot le plus précis,
j’en essaie dix avant de trouver le seul qui convienne. Je noircis deux ou
trois cahiers pour chaque chanson. »
La chanson du FANTOME en est la preuve par excellence. Citons quelques exemples :
Une
chanson qui montre que, dans les meilleures chansons de Georges
Brassens et c'est le cas ici, les jeux avec la langue dépassent
les
simples calembours et que certaines reproches de misogynie sont des
malentendus face à la tentative de Brassens d'enlever la femme
naturelle au monument suridéalisé de femme-Marie qu'a
instauré la morale et l'éducation chrétiennes. Et
c'est bien l'éducation de Brassens:
« À onze
ans, je croyais fermement en Dieu; à vingt ans, je n’y croyais plus du tout.
J’étais borné dans mon incroyance. Je n’y crois toujours pas, mais enfin, je
commence à me poser des questions.»
Ce sont les questions que Brassens pose dans toutes ses chansons et notamment dans ses chansons les plus réussies telles que LE FANTOME. Si ses paroles ne sont pas de poésies, elles y ressemblent à s'y tromper. En tout cas, Brassens travaille le mot : « Les gens acceptent ce que je fais parce que je n’ai pas l’air d’un littéraire. Bien sûr que j’en suis un ! » Mais la notion de poésie lui est sans importance : « La poésie
c’est un mot un peu gros. J’écris des chansons, je n’ai jamais prétendu faire
de la poésie. J’écris ce que j’ai envie d’écrire pour me faire plaisir et pour
faire plaisir à ceux qui m’entendent et puis c’est tout. [...] Si les autres
veulent que je sois poète, je le suis. Je m’en fous, moi, d’être poète ou pas;
j’écris ce qui me passe par la tête et par le coeur, et puis à vous de décider
ce que je suis.Je ne me prends pas pour un poète. Je n arrive pas à la cheville
des grands. Il ne faut pas exagérer. »
Cette relation entre ce qu'on fait en reálité et ce que les autres en pensent par le biais de ce qu'ils disent se retrouve un peu partout dans les chansons de Brassens : « La
plupart des gens croient des tas de choses: ils croient qu’ils sont
communistes, ils croient qu’ils sont de droite, ils croient qu’ils sont de
gauche, ils croient qu’ils sont pour le mariage, ils croient qu’ils sont
bourgeois, ils croient... En fait, ils ne sont rien de tout ça, ils le croient
ou on le leur a dit. »
Ceci
a des répercussion sur la compréhension et par-là également sur
la traduction des chansons de Brassens. Juste un détail :
Brassens appelle un de ses personnages joueur de flûteau puisque celui-ci joue du flûteau -- et il qualifie de joueur d'accordéon le vieux Léon,
puisqu'il joue de l'accordéon. Ce qui paraît une
tautologie pourra quand même se retrouver sous le nom de
flûtiste ou accordéoniste dans des traductions en langue
étrangère... mais ce sont des mots qui désignent le rôle social qui en découle plutôt que l'activité proprement dite.
On lit dans l'Encyclopaedia Universalis 4.0 : « Son écriture, toujours rigoureuse, s’alimente
à la double source d’une
poésie de forme classique, et de musiques qui relèvent de
genres très divers,
mais auxquelles le tempo adopté confère un air de famille
très prononcé. Son
interprétation sans apprêt, sa façon très
particulière de « lâcher les mots »,
son personnage d’ « ours mal léché »
achèvent de donner aux chansons de
Brassens leur poids d’humanité. Sur le mode intemporel, il
parle de l’homme du
XXe siècle et, phénomène rare, arrive à
toucher tous les milieux. »
Comme Brassens s'attaque aux mythes et hypocrisies, son public est plutôt terre-à-terre :
« Dans mon
cas, les gens qui me reconnaissent et qui viennent me parler, ce n’est pas le
genre jeune fille fanatique comme pour Bécaud ou Mariano, non! C’est le genre
père de famille sérieux qui m’invite à déjeuner ou à dîner ! »
Et dans le public de Brassens, il n'y a pas de limite d'âge :
« Je
n’essaie pas de décrire ou de refaire le monde, mais de faire passer des
sentiments éternels. C’est ce qui entraîne un certain vocabulaire dans lequel
mes jeunes auditeurs me semblent aussi à l’aise que les gens de mon âge. Ce
n’est pas passéiste, c’est intemporel. »
L'intemporalité
doit faire sa preuve dans l'avenir. Avec le décès de
Georges Brassens en octobre 1981, son oeuvre commence à se
figer, à n'être plus renouvelée, ce qui implique que
Brassens se trouve maintenant dans le piège de la nostalgie
hostile à la force primitive de son art. Son absence commence,
comme dit le poète, et Brassens, c'est-à-dire l'oeuvre de
Georges Brassens, se retrouve coincé entre le regard en
arrière dans la nostalgie des uns et le regard en avant des
autres.
Brassens
partagera-t-il le sort de Victor Hugo ? Comme il avait dit à
Philippe Nemo à propos de la renommée de poète
de Victor Hugo :
« Parce que
vous devez être d’une génération qui succède à celle qui prenait Victor Hugo
pour un con. Voilà… Victor Hugo, hélas ! Victor Hugo est l’un des plus
grands poètes.
[…]
Mais l’on ne le lit plus. La plupart des gens aujourd’hui décident de tout sans
connaître. La plupart des gens parlent des choses qu’ils ne connaissent pas.
C’est pour ça que moi je suis si réticent quand on me demande de parler, parce
qu’il y a tellement peu de choses que je connaisse que je fais attention à ce
que je dis… »
La
chanson LE FANTOME est un exemple parfait pour
illustrer la portée et la force des chansons et l'art
trés particulier de Georges Brassens afin qu'on décide de
l'oeuvre de Brassens, si l'on se croit obligé d'en décider, en toute
connaissance de
cause et que l'opinion qu'on forme, qu'elle soit bonne ou mauvaise, soit instruite :
« Je ne m’impose à personne, on n’est pas obligé de m’écouter. Ceux qui n’aiment pas Brassens n’ont qu’à tourner leur bouton ! » Cette liberté de le laisser passer à côté persiste : « Je n’ai pas peur de l’avenir: Si mes chansons durent, j’en suis très content; si elles ne durent pas, comme je ne serai plus là à ce moment-là, ce ne sera pas très grave. Plaire pendant vingt, trente ans ou trois cents ans ou trois mille ans... de toute façon, tout ça c’est limité, puisqu’un jour la terre sautera. A vrai dire, quand on me dit que je passerai à la postérité, je réponds que ce n’est pas certain. On l’a déjà tellement annoncé à des gens — et qui ont complètement disparu! —qu’il faut être très méfiant en parlant de la postérité. La postérité, elle fera ce qu’elle voudra! » Mon adaptation allemande chantée à Sulzbach (près de Sarrebruck) en octobre 2011, et enregistrée par Saarländischer Rundfunk, se trouve au site http://www.myspace.com/brassensindeutsch. Ralf Tauchmann Mars 2012 |
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