LA  MUSE INSOLENTE  DE  GEORGES BRASSENS
Georges Brassens en allemand -- traduit et chanté par Ralf Tauchmann


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BRASSENS

FESTIVAL

AUTEUR



A V I S   A U   L E C T E U R
Préface au recueil bilingue français-allemand:
LA MUSE INSOLENTE DE GEORGES BRASSENS
TOME 1 - LES DÉBUTS

Éditeur : NachLese Radebeul
paru en septembre 2010)


En 1915, pendant la première guerre mondiale, Elvira Dagrosa, une jeune mère française d’origines italiennes, apprend que son mari est tombé dans les Ardennes. Veuve à l’âge de 28 ans, elle repart, avec sa fille Simone, orpheline âgée de quatre ans, pour vivre dans la maison de ses parents qui, dans la ville portuaire de Sète (alors écrite Cette), habitent le numéro 52 de la rue de l’Hospice. Quelques mois plus tard, c’est le décès de son père, Michel Dagrosa. Les voisins sont émus par l’acharnement du destin – parmi eux la famille Brassens qui vit dans la maison du numéro 54. Ce qui commence par l’assistance et la bonté des voisins devient dans la suite une affection plus profonde et le deuxième fils de la maison, Jean-Louis Brassens, maçon comme son père, épousera Elvira Dagrosa. Grâces aux forces réunies de l’équipe des maçons, la maison du numéro 54 est rehaussée d’un étage. La jeune famille aménage, Simone a un nouveau papa et le 22 octobre 1921 un fils vient au monde qui est appelé Georges.

Georges Brassens a une enfance assez heureuse dans sa ville natale au bord de la Méditerranée. Le fourmillement du port, la proximité de la mer et la force du soleil marquent la vie quotidienne des gens. A l’âge avancée, Georges Brassens se rappelle cette époque: « Nous habitions sur le flanc de la montagne à Sète, on voyait la mer de la maison et l’étang [de Thau] de l’autre côté. Je vivais dans l’eau. Je m’étonne d’ailleurs d’avoir pu vivre à Paris: quand on a vécu au milieu de l’eau comme cela, avec des bateaux autour de soi et du soleil... Le so­leil, c’est peut-être la chose qui me manquerait le moins. Ce qui me manque, c’est la mer et cette activité du port. »

Brassens ajoute : « Mon enfance, c’est la mer où je na­geais beaucoup, c’est les vignes à bicyclette. Je vois des champs de vigne que traverse un jeune connard sur un vélo, un vélo au guidon de course, mais pas un vrai vélo de course... » Un peu partout, il y a de la musique et les gens chantent. »Depuis que j’existe sur la terre, je ne me souviens pas d’une journée sans musique, sans chanson. C’était le genre de la maison, il faut le dire : mon père chantait, tout le monde chantait, personne n’était musi­cien, personne ne faisait de la musique, ils chantaient sur­tout. « Brassens raconte que sa mère, jusqu’à l’âge de cinquante ans, copiait des chansons qu’elle entendait et allait chez des copines pour compléter des textes. « Car à cette époque-là, il n’y avait pas cette grande querelle entre les générations et ma mère chantait les chansons de sa grand-mère ou de son grand-père. Les chansons de sa mère, elle les chantait, les chansons de son époque elle chantait, et les chansons de mon époque et moi je faisais pareil. »

Tout le monde chante, ce qui ne veut pas dire que l’on aimerait voir le fils être chanteur. Au contraire : « On tenait à ce que je vive à peu près décemment. Et en ce temps-là, les musiciens ne vivaient pas décemment. On le disait, je ne sais pas… »

Brassens admet : « Je n’étais pas un enfant commode. Je n’ai pas été un très bon fils, il faut bien le dire. Sinon, je serais officier de marine, avocat ou médecin. C’était l’ambition de ma mère, ça. Mais artiste... Ils aimaient bien les artistes, mais de loin. Un artiste dans la famille... Il faut bien dire que, en se plaçant au point de vue d’une mère, c’est un peu aléatoire comme carrière. »

Pour la famille, il semblait sans doute plus probable que Georges Brassens suivrait l’exemple de son père, mais qui, avec sa façon d’être méridionale, ne s’obstinait pas dans cette idée. « Mon père était maçon. Je ne veux pas trop en parler. C’est un métier qu’il aurait voulu me voir continuer; enfin sans insistance, parce que mon père, comme beaucoup de Sétois, était assez gentil. Il espérait que j’allais continuer son métier, que j’allais faire comme lui, mais, quand il a senti que je n’avais pas la bosse de la maçonnerie, il s’en est foutu ! »

Sa mère est catholique. « Ma mère était une chrétienne très pratiquante, elle aurait voulu que je sois prêtre, elle me poussait vers la religion. Mon père, lui, s’en foutait, mais gentiment; il était tolérant… Il était communiste; à cette époque, les communistes bouffaient du curé à tour de bras ; mais il m’a laissé aller chez les scouts. » Ainsi, Georges Brassens grandit dans la foi catholique. « J’ai fait ma communion, j’ai été scout. J’ai vécu là-dedans très longtemps. Comme ma famille était catholique, on m’a infusé cette religion: je l’ai sucée avec le lait…« Mais la vie fait qu’il abandonne la foi. « Quand j’ai perdu la foi, vers dix-huit ans, il m’en est resté toute la terminologie. Autour de moi les gens croient. Je m’adresse à des gens pour qui cette notion existe. Alors, j’utilise Dieu dans mes chansons parce que le monde en est imprégné, mais c’est un mot. »

Georges Brassens avait une relation toute particulière avec son grand-père Jules qui, doué d’un esprit critique débonnaire, prenait tout du côté de la blague. Quand Georges et sa sœur Simone revenaient de Paris lors de l’exposition mondiale de 1937, ils présentaient à leur grand-père des photos de la tour Eiffel qui, à l’époque, faisait toujours l’objet de discussions critiques, en lui demandant son avis. Après quelque temps de réflexion, il disait finalement : »Ils auraient dû la mettre ailleurs! »

Il paraît que cette relation avec son grand-père paternel a influé sur l’esprit blagueur de Brassens, sur son sens des situations comiques et sur ses préférences intemporelles à l’écart de ce conflit des générations qui, plus tard, devient chose courante et place commune. « Il semble que maintenant on s’efforce, je ne vois pas pourquoi d’ailleurs, de séparer les générations. La querelle des générations! Oui, elle existe dans les petits trucs à la mode, la façon de se chausser, de se peigner... Une terminologie qui, à la saison prochaine, sera complètement changée, d’ailleurs. Une façon d’être extérieure. Mais à l’intérieur, nous sommes tous de la même génération… »

Georges Brassens ne montre pas trop d’ambitions pour l’école. Sans la crise financière de l’époque, il aurait quitté l’école plus tôt : « Après la crise de 1929, on ne construisait pas beaucoup. On s’est mis à envoyer les enfants à l’école [plus longtemps], on m’a mis au collège Paul-Valéry, à Sète. Sinon, j’aurais été maçon... »

Il n'est pas un cancre, mais ce n’est pas le milieu scolaire où ses ambitions se déclarent : « Je m’amusais à faire des expériences quand j’ai rencontré la chimie, à quatorze ou quinze ans, des expériences dangereuses: un jour, j’ai mis le feu à la maison. »

En d’autres mots : « C’est pour cela que je regrette un peu l’enfance: à cause des vacances. »

Dans le collège Paul-Valéry, nommé d’après le grand poète né à Sète, un jeune professeur, qui s’appelle Alphonse Bonnafé, réussit à enthousiasmer la classe – et Georges Brassens en particulier – pour la poésie française.

« Bonnafé m’a intéressé à ce qu’on est convenu d’appeler les «belles lettres» quand j’avais seize, dix-sept ans ; il a cru trouver en moi un germe poétique, il a essa­yé de le développer. Je le vois toujours, il n’est pas telle­ment plus âgé que moi, il avait à peine une douzaine d’années de plus: c’était un très jeune «prof» à ce mo­ment-là. C’était un «prof» de lettres, il enseignait le latin et le français. »

Dans une interview tard dans sa vie, Georges Brassens fait remarquer l’importance que ce moment avait dans sa vie et l’importance qu’il attachait à l’opinion et à l’avis de son professeur. Voici sa réponse à la question posée par Philippe Nemo s'il était tenté un moment par la poésie seule : « Oui, j’ai été tenté un moment, oui. Et c’est Bonnafé, mon prof, celui qui a fait la préface du bouquin de Séghers et que j’ai continué à voir au sortir du collège. Je l’avais rencontré tout à fait par hasard, à Paris d’ailleurs, qui, après avoir lu mes poèmes, a dit que c’était… que ça ne présentait aucun intérêt, quoi… »  Georges Brassens ajoute que, sans ce professeur, il n’aurait pu continuer longtemps dans cette mauvaise voie où il s’était engagé. Peut-être que Alphonse Bonnafé a sous-estimé pendant un instant la valeur que Georges Brassens ajoutait à son opinion. En tout cas, c’est lui qui écrira plus tard la préface du livre de Séghers qui est le premier recueil écrit réunissant les chansons de Brassens à l’époque. Et Brassens avoue : « À chaque fois que je fais une chanson, je me demande si elle lui plai­rait, si elle va lui plaire. Cela m’incite à être assez sévère, parce que, lui, il est assez sévère ! Jusqu’à présent, je dois dire qu’il les approuve à peu près toutes, à part deux ou trois, ce qui n’est pas beaucoup. »

Depuis assez longtemps, Georges Brassens avait le désir d’aller vivre à Paris et cela devient possible pour des raisons pas du tout agréables après une série de vols qu’il commet avec des copains : « … et, avec une bande de copains, nous avons créé une «association de malfaiteurs» qui a très mal tourné et qui a fait énormément de peine à mes parents, surtout à ma mère qui était soucieuse de l’opinion publique et qui avait honte en passant devant les gens. Mon père, lui, était très différent. Dans « Les quatre bacheliers », je raconte cette histoire. Il est venu me chercher au commissariat, on lui a expliqué ce que j’avais fait et il m’a ramené à la maison. Il ne m’a rien dit, alors que tous les pères étaient venus rouspéter. Tous les pères étaient venus menacer leurs fils de les déshériter, de les envoyer en maison de correction: « Tu n’es plus mon fils ! » etc. Mon père, qui était un type assez costaud d’un mètre quatre-vingts, est entré. Il avait l’air très sévère, il est entré et tout le monde a pensé que ça allait barder. En réalité, il est venu et m’a dit: « Tu veux manger quelque chose ? » Alors, j’ai pensé qu’il fallait écrire cette chanson parce qu’avoir un père comme ça, c’est de la chance.« Georges Brassens est condamné à 15 jours de prison avec sursis. Sa mère a honte et fuit les gens. C’est ainsi qu’en 1940, la famille donne à Georges Brassens l’autorisation d’aller à Paris où il vivra chez sa tante Antoinette.

Il trouve un emploi chez Renault. L’époque est très difficile. C’est la seconde guerre mondiale. Quelques mois plus tard, un bombardement met fin à son travail dans l’usine de Renault.

Lorsque, dans la France occupée des années 1943 à 1945, les jeunes hommes nés en 1920, 1921 et 1922 sont dans l’obligation de partir pour l’Allemagne dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.), cela concerne également Georges Brassens. Du mois de mars 1943 jusqu’en mars 1944, il travaille dans les usines BMW de moteurs à avion situées à Basdorf au nord de Berlin. C’est ici que Brassens écrit les premières de ses chansons plus tard connues telles Pauvre Martin, Maman Papa, Bonhomme ou Le mauvais sujet repenti

En mars 1944, il repart en permission en France et ne revient pas à Basdorf. Jusqu’à la fin de la guerre, il vit caché à Paris, chez une amie de sa tante, chez Jeanne, dont le nom et le caractère se retrouvera dans plusieurs de ses chansons. Brassens est bien accueilli par Jeanne Le Bonniec. Ce qui suit, ce sont des années de recherche et de pénurie dans le Paris d’après-guerre. Entre autre, il écrit des articles pour le journal anarchiste Le Libertaire. Sa passion pour la chanson reste sans écho. Aidé par des amis, Georges Brassens, qui avait songé à écrire des chansons pour autrui, fait plusieurs tentatives en tant que chanteur. Le front plein de sueur, saisi par le trac, il apparaît plutôt maladroit et ne correspond pas du tout à l’image courante des bêtes de scène. Plus tard, il se rappelle : « Au début, je me sentais effarouché comme une jouven­celle. C’était atroce! Et ces gens qui me regardaient sans indulgence, alors que je transpirais sous les projecteurs, en ne sachant quoi faire de mes membres! On m’a traité d’agressif, de méprisant. On m’a reproché d’autres choses encore: mon inélégance, mes cheveux trop longs, ma moustache, ma transpiration, mes gros mots, ma façon de parler de la mort, ma musique monotone, etc. » C’est grâce à la force de ses paroles d’empreinte anarchiste rompant les tabous de son temps qu’il rencontre finalement le succès en 1952. A côté de chansons critiques envers la justice et la police, telles Le gorille et Hécatombe, on trouve des textes poétiques telles Le parapluie et Il suffit de passer le pont, des chansons empruntées au patrimoine folklorique telles Les sabots d’Hélène et Brave Margot ainsi que des chansons de tradition chrétienne telle la Chanson pour l’Auvergnat. C’est notamment cette vaste étendue des sujets embrassant toute la société qui font la valeur des chansons de Georges Brassens. « Je ne suis ni moraliste, ni philosophe, ni rien; je suis un petit faiseur de chansons. Je pense que si les hommes, au lieu de s’occuper d’eux, s’occupaient un peu de leurs voisins ou de leurs amis un peu plus que ce qu’ils s’en occupent, le monde serait plus beau, la terre luirait comme un soleil.. »

La présente édition bilingue est dédiée aux chansons des débuts de Georges Brassens parues entre 1952 et 1956/57. Un autre détail important chez Georges Brassens est son appropriation musicale de poésies françaises de plusieurs siècles. Répartis entre ses propres chansons, il y aura des poèmes mis en musiques de plusieurs poètes tels François Villon, Victor Hugo, Paul Verlaine et surtout Paul Fort, que Georges Brassens apprécie tout particulièrement.

« Je considère Paul Fort comme un des plus grands poètes. Dès quinze ou seize ans, je me suis pris de passion pour son œuvre et cela n’a jamais cessé. … Il m’a beaucoup influencé aussi. Je ne pourrais pas dire où, mais dans presque toutes mes chansons du début on sentirait finalement la présence de Paul Fort, si on s’en donnait la peine.  »

La poésie est omniprésente dans les chansons de Brassens qui a dit : « Je lis surtout les poètes. Pêle-mêle. Le premier qui me tombe sous la dent! Je lis les poètes intégralement. On parle des œuvres mineures de Baudelaire, par exemple, moi je les aime toutes; elles constituent un tout indissociable. Des gens viennent me dire: «J’aime telle chanson de vous, mais pas telle autre.» Moi, si j’aimais Brassens, je l’aimerais totalement ou pas du tout. J’ai lu tout Verlaine ou presque, parce que je l’aime intégralement. »

Dans cet esprit, ce livre aimerait inviter le lecteur germanophone à découvrir et le lecteur francophone à redécouvrir les textes d’un artiste français qui se refuse à tout classement univoque et qui a été l’un des piliers de la chanson française pendant trois décennies et dont l’influence se fait sentir jusqu’à ce jour.

RALF TAUCHMANN
Radebeul, en juin 2009



CITATIONS DE BRASSENS TIRÉES DE:

BRASSENS PAR BRASSENS
de Loïc Rochard
© le cherche midi – 2005

GEORGES BRASSENS PARLE ENTRETIEN AVEC PHILIPPE NEMO
LE LIVRE QUI PARLE - Institut National de l’Audiovisuel (INA)
© Jacques Canetti – 1990

Voir aussi:

Préface au tome 2 du recueil bilingue LA MUSE INSOLENTE DE GEORGES BRASSENS
Essai théorique sur la traduction-adaptation-imitation
Autres pages en français

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